Au fil des jours, mes enfants avaient une mère de plus en plus fatiguée. Tranquillement, je perdais ma patience et ma bienveillance. Je ne me reconnaissais plus et je voyais dans les yeux de mes enfants qu’ils cherchaient à trouver leur maman dans la femme devant eux. Je devais faire quelque chose pour l’harmonie de ma famille. Prise dans une relation toxique, j’en suis venue à la conclusion que je devais tuer mon frère.
On s’entend que c’est au figuré. Mon frère est toujours vivant. C’est dans mon cœur qu’il est mort.
Je me suis couchée un soir en pleurs pour la énième fois depuis plusieurs mois, suite à un commentaire de sa part. J’ai alors réalisé que le lien de sang ne justifiait pas que je continue à me faire autant de mal. Ce n’est pas une mauvaise personne, au contraire. C’est la dynamique entre lui et moi qui est malsaine.
Dans notre histoire, nous avons eu peu de périodes d’harmonie. Jusqu’à la fin de mes études universitaires, notre relation se caractérisait par de fréquentes prises de bec. Pourquoi? J’ai plusieurs hypothèses mais je n’ai jamais voulu pousser la réflexion plus loin. Pour moi, le lien fraternel devrait être libre de jugement. Ce que je sais par contre, c’est que de mon côté, c’était la déception qui me faisait réagir lors des conflits. Mes attentes ne trouvaient pas d’échos dans notre relation. Comme toute relation, chaque instant partagé laissait une impression qui venait influencer les contacts futurs. Pour ma part, je me sentais utilitaire et pas très importante.
Suite à une situation d’entraide que j’ai induite, la paix est revenue durant quelques années. J’ai fait beaucoup d’efforts pour maintenir la bonne entente en essayant d’être compréhensive et de faire taire ma petite voix qui voulait parfois mettre l’accent sur certaines déceptions. J’ai choisi de me concentrer sur le positif et d’accepter mon frère tel qu’il était. Est-ce que c’était à double sens? Je ne peux pas parler pour lui, mais j’ai décidé de penser que oui. Durant cette période, j’ai eu l’impression que nous pouvions compter l’un sur l’autre. Je lui ai fait une grosse place dans ma vie et dans celle de mes enfants, j’avais l’impression que c’était réciproque.
Mais, il y a un bon moment déjà, j’ai dû faire un choix qui ne lui a pas plu. Un choix pour moi et pour mes enfants. Cette décision n’a pas été prise à la légère. Parfois, même si on le veut de tout cœur, notre réalité nous fait comprendre que vouloir, ce n’est pas le mieux. Malgré mes excuses et mes explications, notre relation a basculé. Encore aujourd’hui, je pense que j’ai fait le seul choix logique dans ma situation. Mais ça me hante. Et c’est ce qui me blesse. Dans une relation saine, les choix devraient être respectés, même si on ne les comprend pas. Il est difficile de saisir les implications d’une situation quand tu n’es pas dans les souliers de l’autre. Personne ne devrait avoir le droit de juger que je n’avais pas de bonnes raisons de choisir comme je l’ai fait. Encore moins une personne qui me dit qu’elle m’aime.
Le reste, ce n’est que dégradation du lien qui nous unissait. À partir du moment où on sent que le jugement s’est immiscé entre nous et l’autre, la relation est difficile à rétablir. À qui la faute? Personne! Tout le monde… Il faut être au moins deux dans une relation. Plus c’est une personne proche et plus la situation peut affecter notre entourage et plus il peut y avoir d’interférences. Le danger, c’est que l’un des deux protagonistes soit pris en victime, ce qui transforme l’autre personne en bourreau/agresseur/méchant. La victime se conforte alors dans l’attention que ça lui amène et ne voit plus sa propre responsabilité. La personne peut développer des traits narcissiques, un égo démesuré et de grandes tendances à manipuler son entourage. Parallèlement, ça peut amener du fatalisme, des humeurs dépressives et de l’anxiété car elle a l’impression de ne pas avoir de contrôle sur sa vie. Le bourreau doit alors prendre la charge complète des responsabilités sur ses épaules. Ça amène une perception négative de lui-même, un sentiment de culpabilité et une grande détresse. Soit il vit avec la culpabilité que son entourage lui renvoie, soit il accepte de retourner dans une relation qui le détruit. Devant la victimisation, il est impossible que les deux personnes fassent le premier pas vers une relation plus saine. Il est important de regarder chacun et chacune notre responsabilité vis-à-vis la situation et s’excuser à l’autre du mal que la situation lui a fait. Peu importe de quel côté de la chicane on se trouve, nous avons tous nos tords et tant qu’on ne les admet pas et qu’on n’en est pas désolée pour l’autre, on ne peut pas avancer vers une relation saine.
Prise dans ce cercle vicieux, je commençais à me détruire à petit feu. Mon état d’esprit déteignait sur ma relation avec mon conjoint et mes enfants. Les conflits étaient plus fréquents parce que mes réserves de patience étaient épuisées par cette relation. Pour ramener l’équilibre dans ma petite famille, j’ai dû apprendre à lâcher prise. Je n’avais aucune possibilité de sortir de la victimisation si je continuais d’accepter la situation. Je n’avais aucun pouvoir sur les faits et gestes de mon frère et sur le contexte qui nous maintenait dans une relation victime-bourreau. Je n’avais du contrôle que sur mes attentes et mes contacts avec lui. Pour sauver ma santé mentale et celle de mes enfants, j’ai tué mon frère!
Est-ce qu’une renaissance est possible, seul le temps nous le dira. En attendant, j’aime mieux ne pas avoir d’attente, le deuil est déjà assez difficile à faire.
Cette situation est fictive, je n’ai même pas de frère! Mais aussi très réelle. Tous les jours, des hommes et des femmes ont mal en raison d’une relation toxique. Je parle bien de relation parce que je ne crois pas qu’une personne soit fondamentalement toxique. Elle l’est pour certaines personnes dans des contextes précis. Donc je préfère parler de relation. Ça peut être des gens que vous côtoyez plus ou moins souvent, collègues de travail, amis, parenté lointaine. Mais ça peut aussi être des gens très importants pour vous : père, mère, frère, sœur, belle-famille, oncle, tante, cousin(e) ou même votre conjoint(e).
Si le regard d’une personne vous renvoie une image de vous très négative. Si vous vous sentez régulièrement malheureux et déçu. Si vous commencez à angoisser à l’idée de rencontrer cette personne, vous êtes peut-être dans une relation toxique. Si tel est le cas, un réajustement s’impose. Parfois, une bonne discussion permet de repartir sur de nouvelles bases. D’autres fois, ce n’est pas possible. Il faut alors se préserver, pour le bien de tous. Car les répercussions sont réelles pour la famille autant que pour vous. Et, dans les cas extrêmes, c’est votre vie même qui est en jeu. Avant que ça en arrive à cette alternative fatale, il est temps de tuer cette relation. Le deuil sera aussi difficile que pour un décès. Mais vous méritez de vous sentir comme une personne agréable et importante dans vos relations. Choisissez-vous, sinon personne d’autre ne le fera.
Si vous voulez plus d’informations sur les relations toxiques, je vous invite à visiter ces sites : les relations toxiques, reconnaître les relations toxiques, et faire le deuil d’une personne toxique
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